L'archéologie durant le colloque "la guerre et l'armée : une Fabrique de la ville de l'Antiquité au XXIe siècle

Affiche colloque 2016, la guerre et l'amée

Au fil des siècles, la présence militaire et les conflits armés ont profondément imprimé leur empreinte dans l’espace, contribuant ainsi à la fabrique de la ville et des territoires. Les interactions entre la guerre – et son principal acteur l’armée – et l’urbanisme sont complexes. Elles interviennent aussi bien en temps de paix, à travers le casernement des soldats et la fortification des villes notamment, qu’en temps de guerre où se succèdent phénomènes de destruction et de reconstruction.

Entre opportunités et contraintes, la présence militaire en ville marque puissamment la cité. Ce constat est valable dès l’Antiquité et n’est pas démenti jusqu’à aujourd’hui même si les formes de cette présence évoluent. Les débats sur la réforme de la carte militaire et ses conséquences sur les territoires et notamment les villes de garnisons nous l’ont rappelé récemment encore.

La guerre transforme également la ville par le biais de ces conséquences géopolitiques telles que naissances de villes neuves ou déplacements massifs de populations lors des annexions notamment.

Les résumés d’intervention et réécoute


“La fouille du « Parking de l’Esplanade » à Metz en 2006. Du rempart du Bas-Empire à la citadelle française du 16e siècle, impact de l’architecture défensive sur l’urbanisme à l’échelle d’un quartier de la ville”

Par Patrice Pernot, archéologue chargé d’opération à l’Inrap

En 2006, la fouille du « Parking de l’Esplanade » à Metz a permis d’étudier sur une surface importante (5000 m²) l’évolution d’un quartier densément occupé depuis le 1er siècle. Avec celui du Pontiffroy, ce secteur de la ville est l’un des mieux documentés au travers des archives du sol (fouilles de l’Arsenal notamment).
Outre l’étude du bastion Saint-Pierre appartenant à la citadelle construite à partir de 1559, ensemble architectural assez bien connu grâce aux fonds archivistiques, l’opération archéologique devait aussi aborder la question du rempart antique, bien positionné plus au sud dans le périmètre du Palais du Gouverneur mais au parcours incertain vers le nord sur cette partie du plateau d’interfluve incliné vers la Moselle.
Malgré quelques incertitudes, l’opération archéologique a pu pour l’essentiel répondre à ces éléments de topographie historique. Une hypothèse probante du tracé du rempart gallo-romain peut être proposée. Son impact sur l’urbanisme de la ville antique est également maîtrisé à l’échelle de la fouille et peut être extrapolé au quartier. Les informations liées aux occupations médiévales sont plus ténues, mais suffisantes pour comprendre l’évolution du secteur durant cette longue période. Notamment, il est possible de préciser à quel moment la courtine antique a été abandonnée au profit d’une ligne de fortification positionnée plus bas dans la pente, vraisemblablement proche ou identique à celle connue actuellement. Au 16e siècle, la construction de la citadelle militaire correspond certainement à la plus grande transformation historique subie par la ville au regard de l’urbanisme préexistant. La structuration générale du bastion, ses aménagements internes ainsi que quelques évolutions ont été mis en évidence. L’influence de cet ensemble monumental restera majeure jusqu’à sa démolition, à la fin du 18e et au début du 19e siècle, et à la rétrocession à la ville des terrains qu’il occupait.


“Des vastes faubourgs à la ville corsetée : Metz et Strasbourg entre le XIIIe et le XVIIIe siècle”

Par Catherine Xandry, ATER en histoire et archéologie médiévale à l’université Jules Verne de Picardie

Si la ville du XIIIe siècle n’a pas grand-chose à voir avec celle du XVIIIe siècle, la guerre du XIIIe – dans sa pratique, dans la façon qu’ont les contemporains de l’envisager – est elle-même fort différente de celle du XVIIIe siècle. Évolution donc, dans chaque domaine, urbain et militaire… mais dans quelle mesure ces évolutions se répondent-elles ? S’il semble clair que les « progrès », innovations dans le domaine militaire, dans la poliorcétique, ont influés sur la mise en défense de la ville, est-ce que certaines pratiques urbaines ont elles-mêmes eu pour conséquence des actes offensifs particuliers ? Par ailleurs, quel est la part du quotidien et de l’exceptionnel dans les rapports entre la ville et la guerre ?
Dans cette optique, cette intervention souhaite retracer rapidement l’évolution spatiale des villes de Metz et de Strasbourg, plus particulièrement de leur péri-urbain, entre les XIIIe et XVIIIe siècle.
Alors qu’au XIIIe siècle, les villes de Strasbourg et de Metz bénéficient de vastes faubourgs assurant la transition entre l’espace intra-muros et la campagne les rendant largement ouvertes vers l’extérieur, elles se présentent au XVIII siècle comme des villes corsetées derrière leurs enceintes. Trois grandes phases émergent alors. Une phase de forte imbrication urbain-rural, la ville s’étendant largement au-delà de l’enceinte et des éléments ruraux, comme des champs, pouvant se trouver au sein de l’espace urbanisé. Par ailleurs des éléments urbains spécifiques mais n’existant pas intra-muros (comme les léproseries) sont présents sur la zone d’étude. Lui succède une phase d’intégration des faubourgs derrière l’enceinte, ou de leur destruction par la suite d’un siège ou d’une menace de siège. L’enceinte devient alors une frontière entre la ville et la campagne, même si des reliquats des anciens quartiers demeurent extra-muros. La municipalité délimite cet espace par un bornage. Des fonctions urbaines spécifiques y sont toujours présentes et de nouvelles apparaissent. La troisième phase est marquée par une séparation stricte des espaces intra- et extra-muros. La majeure partie de l’urbanisation se retranche derrière l’enceinte où apparaissent des fonctions spécifiques (salles de spectacles, arsenal, casernes etc.). De ce fait, l’enceinte, ou plutôt l’ensemble du système bastionné, marque une séparation nette entre la ville et la campagne où le contrôle de la ville est total. Elle gère l’espace en fonction ses besoins, que cela soit sa défense, son industrie, ses cimetières…


“Le bourg castral de Rodemack, sa forteresse et sa citadelle. Contraintes et opportunités de développement médiéval à l’époque moderne”

Par Jean-Denis LAFFITE, Archéologue ingénieur de recherche. UMR 7044 Strasbourg. ECR Rurland EPHE Paris.

Le bourg castral médiéval de Rodemack, sa forteresse et sa citadelle à l’Époque Moderne, époques luxembourgeoise et française : l’exemple d’une localité du « Luxembourg français » convoité par la France, et contrainte dans son développement par la présence militaire et son statut de bourg frontalier.

La restauration de la forteresse de Rodemack engagée sous la responsabilité des Monuments Historiques, a été l’occasion pour l’archéologie de revisiter le passé historique de ce site majeur du Luxembourg français. Les fouilles réalisées par l’Inrap de 2012 à 2014 sur plus d’un hectare des 3,5 ha de la « citadelle » héritée du XVIIIe s., permettent de retracer le contour des vestiges disparus médiévaux et modernes, antérieurs à 1815.

La forteresse militaire, perchée sur son rebord de plateau, forme un ensemble cohérent qui est intimement lié au bourg établi à ces pieds, et à son enceinte de type urbain, établie vers la fin du XIVe s. ou au début du XVe s. L’espace intra-muros d’environ 7 ha (2 fois la superficie de la forteresse) contient l’habitat d’origine médiéval, les places, les jardins de proximité, la paroisse, répartis spatialement en plusieurs quartiers et axés sur les deux portes seulement.

La recherche sur la morphologie spatiale de l’agglomération antérieure aux XVe-XVIe s. n’en ait qu’à ces débuts, mais une analyse régressive du parcellaire « urbain » basée sur l’étude des plans du XVIIIe s. et des faits archéologiques mis au jour dans la forteresse, permet de proposer des hypothèses quant à l’évolution du bourg castral étroitement soudé à son « burg », durant la fin du Moyen Âge.

Rodemack apparaît dans la « géopolitique » de l’époque Moderne comme une place « sentinelle » située à mi-chemin entre Luxembourg-ville et Thionville, principale place forte du Luxembourg sur la Moselle aux XVIe et XVIIe s. ; ce bourg castral de frontière a subi les multiples conflits de la France avec le Luxembourg, les Pays-Bas espagnols et l’Empire germanique, ceci du XVIe s. au début du XIXe s. Au XVIe s. les Margraves de Bade puis le gouverneur du Luxembourg Mansfeld firent de la forteresse médiévale une citadelle adaptée à l’artillerie. A la fin du XVIIe s., Louis XIV y fit installer des casernements et une poudrière pour l’infanterie et l’artillerie, Louis XV une « caserne neuve » ainsi qu’une chapelle Saint-Louis (fouillés en 2014), qui témoignent de la vie de la garnison.

Durant ces périodes, Rodemack est resté foncièrement un bourg de garnison militaire d’appoint dans l’ombre de Thionville, la place forte majeure, limité dans son développement par les destructions successives durant plus de 300 ans. L’étude du tracé de son enceinte et des fossés, des îlots d’habitat à partir des anciens plans militaires du XVIIIe s. (analyse spatiale) permet également de formuler des hypothèses urbanistiques sur son développement depuis la fin du Moyen Âge.